Nos coups de c½ur

#Roman noir

Ragoût de caribou et whisky, ça vous dit?

Une Saison pour les ombres

Roger Jon ELLORY

Une Saison pour les ombres

Ed. Sonatine - janvier 2023
Prix : 25.00 ¤
9782355849909

Roman noir, roman d'atmosphère et d'introspection, ce nouveau roman de R. J. Ellory se situe dans la lignée de Seul le silence (paru chez Sonatine en 2008). L'enquête policière à proprement parler ne démarre qu'à la moitié du livre. La tension sensible tout au long du roman vous happe dès les premières pages. Jack Devereaux, inspecteur en incendies, boulot à cheval entre pompier, assureur et inspecteur de police, reçoit un appel de l'autre bout du Canada (l'action se passe au pays du caribou) qui va bouleverser son quotidien. Son passé ressurgit soudainement, passé qu'il a fui et enseveli sous des couches de silence bien hermétiques. Personne autour de lui ne connaît son histoire et l'on s'étonne d'apprendre qu'il a un frère. Et que Jack doit partir pour l'aider car Calvis est en mauvaise posture, en garde à vue pour avoir tenté d'assassiner un homme désormais entre la vie et la mort. Jack n'a plus le choix. Il rentre à Jasperville après 25 ans à tenter de survivre ailleurs sans rien construire pour autant. Le récit alterne les chapitres où l'on glisse dans les pensées de Jack, la quarantaine bien tassée, personnage tourmenté par ce passé qu'il a cherché à fuir et qui le rattrape soudainement et les chapitres qui narrent l'installation des Devereaux à Jasperville, ville fondée en 1956 grâce à l'ouverture des mines de fer de la Canada Iron. La famille Devereaux compte le grand-père William, les parents Henri et Elizabeth, Juliette, la grande soeur de Jacques et Calvis. La vie est rude dans cette région au bout du monde. L'hiver dure 8 mois, les températures descendent jusqu'à moins 30°C, le soleil rare. Canada Iron nourrit les habitants de cette contrée qui buttent sur les monts Torngat, "lieux des esprits mauvais" en inuktitut. Car des ombres rodent autour de la ville que certains disent maudite. On peut devenir fou. Etre victime du Wendigo, créature du folklore algonquin qui guette ses proies pour les déchiqueter et se nourrir de leur chair, tapie dans l'ombre. Un jour le corps d'une fillette est retrouvé déchiré, comme par un animal sauvage. Ce ne peut être que ça, une bête féroce ou une créature de légende. Et ce sont ces légendes que le grand-père de Jack a fait rentrer dans le crâne de ses petits enfants. Calvis est-il devenu fou?

C'est Jack qui va mener l'enquête en constatant que la police locale ne peut pas grand-chose, faute de moyens et de poste durable. Qui veut rester dans "le trou du cul du monde, mais gelé jusqu'à l'os"? Il reprend les notes de Calvis et va s'avancer entre cauchemars et ténèbres, luttant contre son sentiment de culpabilité d'avoir laissé son petit frère et celle qu'il aimait, d'avoir trahi sa promesse de revenir les chercher, contre son angoisse de se replonger dans le drame familial.

C'est captivant, angoissant, très documenté et réaliste. La psychologie des personnages est très fouillée, les dialogues toujours ciselés et redoutablement efficace pour camper l'ambiance et l'état d'esprit des personnages. La réflexion sociétale est vraiment intéressante.

Une Saison pour les ombres est l'histoire d'une introspection, celle d'un homme qui a fui son passé. Peut-on se construire sans passé? "le passé est un pays qui a sa langue à lui, une langue que la plupart apprennent à oublier. Les mots de cette langue sont comme des chansons apprises par cœur. Au moindre rappel, elles reviennent et la mélodie est aussi familière, aussi obsédante que jamais." Le sang nous lie-t-il à jamais au lieu d'où l'on vient?

En toile de fond, bien sûr, l'histoire du Québec: "Le Québec. Trois fois la superficie de la France. Des peuples indigènes - Innus, Inuits et Métis - réunis en hameaux et en villages, chassant, piégeant, et tirant leur survie d'une terre qui n'aurait jamais dû être colonisée. Les immigrants, attirés par le minerai de fer, étaient venus pour violer leurs terres, sans tenir aucun compte des autochtones"... Ite missa est!

A lire bien emmitouflé dans une couverture, au coin du feu! Avec Médor au pied, au cas où les ombres seraient trop menaçantes.... [Laure]