Sur l'épaule des géants

J'ai adoré. J'ai avalé les 372 pages du nouveau roman de Laurine Roux, et à peine le livre refermé je me suis sentie orpheline de cette histoire dingue, de ces personnages fous, de ces aventures rocambolesques et de cet univers bigarré. C'est absolument, exactement, précisément tout ce que j'aime en littérature: les vibrations. Les émotions qui vous secouent, vous font sourire, rire aux éclats, pleurer. Cette plume pleine de malice, de facétie est au service d'une imagination incroyable. Je me suis à plusieurs reprises dit que cette manière légère de traiter une histoire qui ne manque pas de profondeur et que traverse l'Histoire m'évoquait quelque chose et je crois que c'est un peu la même manière  et la même matière que celles du Fabuleux destin d'Amélie Poulain.

L'arbre généalogique de la famille Agulhon comporte de nombreux énergumènes comme Eglantine, "la folle des Mûriers" ou sa mère, Violette, atteinte d'un" syndrome de vitalité aiguë" que sa petite fille, Marguerite, souhaite "gravement contagieux"... parce que les femmes de cette famille portent toutes un nom de fleur. Et les chats, qui traînent dans les branches de cet arbre familial, parlent, bien sûr, et portent tous un nom de philosophe.

C'est un ouvrage joliment illustré de gravures d'Hélène Bautista qui couvre tout le XXème siècle et qui nous fait côtoyer des scientifiques, des hommes politiques, des artistes, des gens de lettres qui ont vraiment existé. On y croise Pasteur, Picasso, un certain Jean-Baptiste Dumas, un dénommé Diaghilev... C'est un roman qui traverse le siècle et ses découvertes, ses inventions. On y apprend ce qu'est la pébrine, ce qu'est une Amédée Bolée. Les chapitres sont très courts et rythment parfaitement le récit qui n'en devient que plus prenant. On l'achève en ayant l'impression d'avoir lu mille aventures, rencontré mille personnages.

Laurine Roux a soigné l'écriture et nous régale de mots rares, précieux, désuets, d'expressions amusantes: les femmes "pommadent leur devanture" ou "charbonnent leurs lampions". On se moque en comparant telle chose à de la "roupis de sansonnet"; on parle de "raminagrobis", de "grippeminaud". Tout un langage coloré, savoureux pour animer des dialogues truculents illustrant parfaitement les traits de caractère des uns et des autres. Les écarts de langage ne sont là que pour provoquer le rire, souligner la facétie du propos, comme les intitulés de chapitres de facture très classique mais pleins de malice et de références modernes et variées: "où plus c'est long, plus c'est long", "où il est question de pénis et de papillote mais pas de pénis en papillote", "où l'on n'a pas attendu François Valéry pour s'aimer vivants", "où pour vivre heureux, vivons casher"...

C'est donc une épique saga familiale entre les Cévennes et Paris, entre 1850 et les années 2000, gorgée de fantaisie, de malice et d'humour, emplie de profondeur, de douceur pour évoquer les heurs et malheurs d'une vie et nous inviter à en profiter et à serrer fort dans nos bras les gens qu'on aime...

Bravo Laurine et un immense merci pour cet incroyable moment de lecture!!!