On ne sait rien de toi

Une très belle découverte que ce roman de Fabrice Tassel qui donne envie de partager cette lecture qui se démarque, dans l'univers du roman noir et social par la profondeur, la finesse et le soin accordés aux personnages de cette histoire pas banale et en même temps ordinaire.

L'apparente lenteur dans la mise en place de l'intrigue m'a fait penser au film Les Graines du figuier sauvage: on peut trouver des longueurs, une lenteur mais elle est en réalité au service de la tragédie, elle incarne la lente marche inéluctable vers le drame... c'est bien le même ressort dans On ne sait rien de toi. Il faut du temps pour comprendre comment on passe de la situation initiale à la situation finale, qui, si on les met côte à côte, nous apparaîtraient sans rapport aucun tellement on ne voit pas le lien entre elles.

On pourrait donc penser, au tout début du roman, qu'on nous donne à lire une banale histoire d'adultère, mais que nenni!!! La tension va crescendo. On plonge dans le quotidien de la famille Perrière, famille bourgeoise qui compte les parents, Charles et Aline, et trois enfants, Juliette, Anouk et Virgile. On traverse les époques, passant du quotidien morose de Charles et Aline, octogénaires qui font chambre à part depuis longtemps, à leur rencontre, la naissance des enfants, des souvenirs de voyage... on adopte le point de vue Charles, souvent celui d'Aline, de Juliette, l'aînée qui n'a plus donné signe de vie de puis 25 ans. On découvrira le motif de cette "brouille" au fur et à mesure que l'histoire avance. On navigue entre le présent de ces retraités en apparence bien sous tous rapports, confortablement installés dans un appartement cossu parisien et leur passé actif: directeur de l'IGPN pour Monsieur, carrière rectiligne, très tôt pensée et menée à bien et enseignante d'histoire pour Madame, très investie auprès de ses élèves et appréciée par ses collègues. Leurs enfants sont devenus des adultes accomplis et ont fait à leur tour des enfants. Bref, tout va bien. En apparence, seulement...

C'est tout l'intérêt de cet ouvrage: le lecteur y collecte les grains de sables qui ont enrayé la machine si parfaitement huilée, observe les discrètes lézardes qui viennent fissurer le bel édifice et révéler la vérité. Car on ne la connaît pas, puisqu' "On ne sait rien de toi".

L'intrigue de ce roman a été pensée avec une grande intelligence et un souci du détail peu commun. Rien n'est laissé au hasard. Même les personnages présentés comme secondaires sont fondamentaux. Quand on prend un peu de recul, quand on repense à cette histoire, on ne peut que saluer l'habileté de l'auteur. L'épilogue est lui aussi magistral.

C'est donc un roman noir machiavélique, jubilatoire, orchestré de main de maître. Le réalisme de l'intrigue, la profondeur de l'analyse des sentiments, le détail dans le portrait des personnages sont ici saisissants. Ils servent bien évidemment, comme dans tout roman noir digne de ce nom, une critique de société assez mordante; il est ici question d'emprise, de jeu de pouvoir destructeur, de violence, de mensonge. On ne sait rien de toi questionne également les conséquences de nos actes, le poids de nos décisions sur notre entourage, qu'on le veuille ou non. L'intrication des liens familiaux est très forte. Les non-dits, les silences, les habitudes, le train-train quotidien participent à la déconstruction de ces liens.

Rien n'est tout noir ou tout blanc. Et c'est cette humanité complexe que Fabrice Tassel a su rendre dans On ne sait rien de toi. Un coup de maître!!!

Bravo!

[Laure]