Milwaukee Blues

Milwaukee Blues nous présente un personnage de fiction inspiré de George Floyd, mort comme lui en criant « Je ne peux pas respirer » étouffé sous le genou d’un policier blanc. Ce personnage s’appelle Emmett, prénom faisant référence à Emmett Till, jeune noir également assassiné par les racistes du Sud en 1955. Emmett, donc, porte l’héritage de ces deux personnes qui ont été détruites par le racisme institutionnel. Il devient un personnage collectif par sa mort atroce. Emmett crie « Je ne peux pas respirer » et sa voix se rajoute au chœur de vies noires opprimées jusqu’à l’agonie au cours des siècles. 

La perte d’Emmett n’est pas seulement tragique par sa dimension collective mais aussi par sa dimension individuelle. Emmett était un être unique avec des expériences de vie uniques. C’est cette individualité débordante que nous amène Louis-Philippe Dalembert avec son écriture magnifique.

D’abord, chaque chapitre exprime la voix d’une personne qui a fait partie de la vie d’Emmett, né dans un quartier de Milwaukee. Son institutrice, sa copine d’enfance, son coach sportif, la fille qui l’a aimé… chacun parle à son tour dans des monologues successifs. À partir de ce tissu de voix, l’existence d’Emmett émerge dans toute sa complexité. Dalembert fait preuve d’un talent extraordinaire pour récréer les subtilités du langage des personnages. Il fait parler aussi le policier qui a tué Emmett ou le gérant du magasin, rongé par la culpabilité, qui a appelé la police après avoir soupçonné Emmett d’utiliser un faux billet. La dernière partie du livre est dédiée à la marche organisée pour les funérailles d’Emmett. Cette marche est conduite par un personnage radieux : Ma Robinson, pasteure de Milwaukee et ancienne gardienne de prison, qui porte sur ses épaules cette communauté ravagée par le racisme. Milwaukee Blues dessine avec grande intelligence une fresque sociale remplie de références littéraires, musicales et culturelles.

Cet ouvrage littéraire majuscule nous aide à comprendre la magnitude de la perte d’une vie humaine emportée injustement par la haine. Dalembert nous rappelle le pouvoir de la littérature pour arriver aux profondeurs des vies et leur octroyer une identité irremplaçable. Son écriture est tellement ouvragée qu’elle réussit à nous emporter facilement malgré la gravité du sujet.

Milwaukee Blues est un texte intense, poignant et extraordinairement bien écrit.

Recommandé de tout cœur [par ELISA!]