Les Mangeurs de nuit

C'est une lecture hypnotisante que celle des Mangeurs de nuit. Marie Charrel, de sa plume puissante et poétique, raconte l'horreur dont est capable l'homme blanc...

L'histoire se déroule en Colombie britannique, au nord-ouest du Canada, territoire qui a connu plusieurs vagues d'immigration japonaise et qui a montré à l'égard des Issei puis des Nissei (les fils et filles des premiers migrants japonais) une haine féroce. On suit tour à tout Hannah, une fille d'immigrés née au Canada et Jack, un creekwalker chargé de compter les saumons qui remontent la rivière. Jack vit au milieu de la forêt, seul avec ses deux chiens, loin des hommes. Hannah et Jack vont se retrouver face à face dans la forêt: la fille marquée par "l'Ours Esprit" et le "marcheur de ruisseaux". C'est la rencontre bouleversante de deux êtres blessés, deux parias de la société: l'un vit en ermite depuis le départ de Monk à la guerre, son demi-frère sang-mêlé par sa mère, Hellen, une Gitga'at de la nation autochtone tsimshian. Monk a été arraché enfant  à sa famille pour être "éduqué" dans un pensionnat catholique. Il en est revenu fantôme. L'autre a vu les siens mourir un par un: son père qui lui contait des légendes japonaises, son petit-frère, sa mère. Elle a connu les camps et elle a refusé de se soumettre comme tous les Japonais. Elle a payé le prix fort pour sa liberté. 

Ce roman raconte le mélange de deux cultures nourries de légendes, de poésie, d'amour de la nature et du vivant. On entend le cœur de tous les personnages battre, on marche dans la forêt à leurs côtés, on caresse l'écorce des arbres, on trempe ses doigts dans l'eau glacée du torrent, on hume l'odeur du bois, du saumon fumé, on glisse sa main entre les oreilles de Buck et d'Astrée, les chiens de Jack. On regarde les oiseaux, les arbres, les insectes, la pluie, la beauté en chaque chose, "les épinettes impassibles, les roches millénaires sculptées par les vents et le ciel portant la mémoire du monde originel, l'océan d'ivoire et la terre immaculées".

Vibration, émotion intense, frisson... lecture magnifique. [Laure]