Nos coups de c½ur

#Bande Dessinée

Roman graphique autobiographique sur la transmission et le devoir de mémoire magnifique et bouleversant !

Le Poids des héros

David SALA

Le Poids des héros

Ed. Casterman - janvier 2022
Prix : 24.00 ¤
9782203215764

 

Comment se construit-on quand on a dans sa propre famille des parents qui pèsent lourd par la geste héroïque qui leur est attachée ? Comment fait-on pour assumer, porter l’héritage de ces héros de famille? Comment transmettre cette mémoire familiale ? C’est par ce bouleversant roman graphique que le talentueux David Sala y répond. Il fait ici sa part du travail d’hommage rendu à ses grands-parents et à ses parents qui ont incarné le combat pour la liberté à l’heure où l’on entend malheureusement des discours politiques inquiétants.

Les deux grands-pères de l’auteur ont fui l’Espagne et Franco. Son grand-père maternel, rescapé du camp de Mathausen, a fait preuve d’une volonté implacable en refusant de mourir avant son bourreau. Son grand-père paternel, poussé par une rage de vivre et un refus de se soumettre a, lui, rejoint le maquis et échappé de justesse à la mort. La mère de l’auteur a entretenu sa vie durant  la mémoire de cette lutte acharnée, impliquant David, son cadet dans cette transmission de la mémoire.

Rendre hommage est une lourde tâche. Comment être à la hauteur ? Justement, c’est de hauteur dont il est question puisque David Sala a fait le choix d’un récit à hauteur d’enfant : lui, né en 1973.

Le dessin, la technique picturale, les couleurs, tout est remarquable. Il choisit de dire l’horreur et la haine avec des couleurs vives, criardes même et c’est une réussite. L’émotion imprègne chaque page. Le lecteur ne peut qu’être bouleversé par le sérieux de cet enfant qui observe le monde autour de lui avec une curiosité et une acuité peu communes. Avec des jumelles aussi parfois. Souvenir émouvant où il prête ses jumelles à son grand-père alité et mourant. Pour voir de près ou de loin, précise-t-il : « Quand tu retournes, regarde, ça fait très loin » Et son grand-père, Antonio Soto de Torrado, s’éloigne effectivement de plus en plus…

L’émotion nous étreint également quand ce petit garçon découvre dans les toilettes un livre sur la déportation. Séquence muette. Superposition de regards : regard perdu de déportés derrière les barbelés, regard ébêté de David qui découvre l’horreur de la réalité des camps.

Le talent de l’auteur est immense et particulier : il rend comme personne l’âme humaine à travers le regard. L’œil est omniprésent dans l’ouvrage : on ne peut qu’être touché par la tristesse du regard du portrait du grand-père qui a trôné au milieu du salon toute l’enfance de David, portrait réalisé par un prisonnier antifasciste au camp de Mathausen, enseveli pendant des années et exhumé au moment de la libération en 1945. Et au pied de ce portrait, comme un écho : le regard triste de David enfant. Sur la 4ème de couverture figure également un œil, cette fois-ci, celui du grand-père paternel qui est resté caché des heures durant sous le feuillage pour fuir les SS qui étaient venus arrêter et exécuter son groupe de résistants après dénonciation…

Le trait est parfois caricatural mais qu’importe. Il s’agit du regard d’un enfant qui parfois s’égare dans l’imaginaire. Le rêve prend parfois le pas sur la réalité. Peu importe la déformation, la véracité des souvenirs. Ce qui compte, c’est l’émotion, le ressenti d’un enfant qui a imaginé ses grands-pères volant au-dessus des obstacles, comme des super-héros… et qui leur rend ici un vibrant hommage.

Bravo. Merci.