Le Grand Saut

Chic! Un nouveau roman de Thibault Bérard! Quand on a lu Il est juste que les forts soient frappés, quand on versé des hectolitres de larmes, qu'on a eu la sensation d'étouffer noyé dans ses sanglots, que notre coeur a semblé peser des tonnes et qu'on a eu l'impression d'être orphelin à la fin de ce bouleversant premier roman de Thibault Bérard, on se dit qu'on est prêt pour les suivants...

Les premières pages du Grand Saut sont étonnantes. On se demande bien ce qu'on est en train de lire. Qu'est-ce que c'est que cette histoire découpée en deux parties baptisées respectivement "Apprends à mourir" et "Souviens-toi que tu as vécu"? Et ces chapitres: "Jour de ténèbres" [Zoé en bleu], "Jour de joie" [Zoé en noir]... Il n'y en a que pour Zoé alors que le premier chapitre s'ouvre sur Léonard, un vieillard qui en train de mourir d'un infarctus, de "crever tout seul dans sa cuisine, comme un con, par jour de grand beau"... mais ça y est, on a mordu à l'hameçon, c'est fichu. On bascule avec Léonard, dans ses souvenirs. Ou plutôt, on assiste à un rétropédalage de son esprit qui, pour une raison qu'on ignore et qui semble dépasser le personnage-même, lui fait revivre des moments clés de son histoire. Et c'est une histoire douloureuse. Il ne peut qu'assister, impuissant, à sa nullité passée. Oui, il a été nul. Il s'est conduit comme un mufle, n'a pas su profiter du bonheur qu'il avait à portée de main.

Puis, sans lien apparent, focus sur Zoé, une fillette qui s'apprête à sauter du haut d'un immense plongeoir, pour impressionner sa mère. Elle est morte de trouille, mais elle ne peut faire marche arrière. C'est trop tard. Elle doit sauter. Comme Léonard finalement, qui fait le grand saut lui aussi, mais dans un autre genre. C'est comme un instantané, un Polaroïd. En noir et blanc. Comme la vie de Zoé depuis que sa mère a basculé de l'autre côté. On comprend qu'un jour, elle est partie, puis revenue, aphasique, frappée de catatonie. Plus rien. Zoé et son père sont effondrés, sans réponse: que s'est-il passé? où est-elle allée? qui a-t-elle vu? qu'a-t-elle vécu? Aucune réponse ne vient. Aucune lumière ne traverse plus ses yeux. Elle est internée à l'hôpital et aucun médecin ne se prononce. Mais Zoé s'accroche. C'est une fillette très mature, très sensible et aussi très têtue. Elle se met en tête de trouver ce qui a provoqué cette fracture chez sa mère. Et si c'était le contenu de la malle laissée dans la cave de l'immeuble? Personne n'a jamais osé enfreindre la promesse de laisser le contenu de cette malle secret. Cette malle a un rapport avec le passé de la maman de Zoé, passé dont elle n'a jamais rien dit.

Ces deux vies, celle de Léonard et celle de Zoé, vont se croiser, se télescoper. Et c'est là la finesse et l'intérêt du livre.

Une fois encore Thibault Bérard nous plonge dans les tourments de l'âme humaine, au coeur d'un drame familial et interroge notre aptitude au bonheur et notre capacité à pardonner. C'est un très beau livre sur le silence, les non-dits, la résilience, la construction de soi. Une fois de plus, l'émotion est bien présente, subtilement dosée, habilement glissée dans un silence, un sourire, un geste de la main. C'est juste, beau, fort.

[Laure]