#Polar, Policier & thriller
Un peu de finesse et de bienveillance dans un monde de brutes, ça vous dit ?
Benoît SEVERAC
Le Bruit de nos pas perdus
Déjà, on peut saluer le titre. Il est beau, original, évocateur et nous ouvre le chemin: on va arpenter un grand hall très vivant en compagnie de personnages qui appartiennent à la police et à la justice. Mais c'est quoi le "bruit" des pas perdus? c'est un peu comme si on suivait les ruminations mentales, les raisonnements pas à pas de ces gens qui oeuvrent au quotidien pour la justice et qui, sans être des héros, donnent de leur personne pour que les choses avancent. C'est la patte de La Manufacture de livres. On est dans le roman social.
Lire Le Bruit de nos perdus, c’est d'abord consommer français, lire autre chose que les blockbusters qui sont inévitables sur les tables de nouveautés des libraires, faire un petit pas de côté en s’évitant un thriller convenu ou un polar cousu de fils rouges. Lire Benoît Séverac, c’est faire preuve d’un peu de curiosité, de finesse…vous ne serez pas déçus !
L’auteur vous tend une loupe et vous invite à regarder ce qui se passe à la Brigade criminelle de Versailles. Rien d’extraordinaire. Des flics ordinaires qui font bien leur boulot, enfin, du mieux qu’ils peuvent. Parce qu’ils tombent parfois sur des affaires apparemment sans lien entre elles et qui vont finalement se croiser.
C’est la force de ce roman que de vous embarquer l’air de rien. On se dit qu’on est en train de lire un polar somme toute classique, mais plus on avance, plus on est pris et étonné. Il y a là beaucoup de finesse dans l'analyse des personnages. Ils y sont décrits par petites touches. Leur psychologie est tellement fouillée, tellement bien distillée au fur et à mesure de l’enquête que l’on a vraiment l’impression de les avoir côtoyés de très près, un peu comme des gens rencontrés par hasard qui s’avèrent devenir de vrais amis, des gens intéressants avec qui on a envie de passer du temps.
On fait donc la connaissance du commandant Jean-Pierre Cérisol (si on ne l'a pas déjà croisé dans Tuer le fils) et de son équipe: le pro du taekwondo, Grospierres, dont l'instinct est aiguisé, Nicodemo, le doyen de la bande, d'origine portugaise, une vraie machine de guerre pour gérer la paperasse et sa vie de famille nombreuse et la petite dernière, K., (Cérisol ne parvient pas à prononcer correctement son nom Krzyzaniak) une jeune femme au caractère bien trempé qui s'obstine à vouvoyer Cérisol que ça agace. Et c'est pas facile d'être une femme dans un milieu essentiellement masculin. Y a du boulot pour changer les mentalités!
Et pour la magistrature, on fait la connaissance de Louise Gairal, brillant procureur souvent moqué pour son accent prononcé du sud-ouest (essentiellement par ceux qui pensent avoir un plus gros... Q.I.). Cérisol aime bien Gairal. Elle est pro. Elle est gentille. Enfin, c'est elle qui se perçoit comme ça. Ca la dérange un peu car elle a toujours l'impression de ne pas être dans le moule. Elle est de gauche, Louise.
L'équipe ne chôme pas pour comprendre les deux affaires qui leur sont tombées dessus: l'affaire du suicide louche d'Emilie Vaudrey et le corps momifié d'un inconnu déposé dans un caveau familial.
Chacun se démène, chacun compose avec sa vie personnelle (parfois très compliquée et pleine de surprises) et ses relations professionnelles. L'auteur nous promène, ouvre des portes, gratte le vernis des apparences. Il y a évidemment des failles, des lézardes. Le lecteur découvre des choses bien laides et se rend compte que, pour reprendre les mots de l'éditeur (merci Pierre ! ) "c'est parmi les hommes et les femmes ordinaires que l'on trouve les criminels comme les héros".
C'est très prenant, subtil, plein d'humanité et de bienveillance et ça fait un bien fou de lire un truc intelligent, qui sonne juste, et très bien écrit!!!
[Laure]