La Mauvaise habitude

La Mauvaise habitude fait partie de ces romans qui, une fois refermés, vous hantent longtemps. La narratrice (double de l'autrice) raconte son enfance à Madrid dans les années 80, dans le quartier ouvrier de San Blas, refuge des toxicos et des prostituées, des vieilles travesties comme Margarita, de sorcières comme La Perruque, de figures de marginaux incroyables qui l'ont durablement marquée. Sa vie, enfant, se résume à "un petit numéro de mort-vivant" car elle est née fille dans un corps de garçon. Elle a donc joué à être un garçon, jouant avec l' "épais rideau qui [la] séparait de [sa] chair".

De chapitre en chapitre, elle se livre, se dévoile, raconte sa famille avec un grand-frère bienveillant, des parents ouverts et aimants. Elle dit ce corps comme une prison, cet autre qui crie à l'intérieur de soi et qu'on étouffe, pour être "normal". Faire semblant. Mort à l'extérieur et vivant à l'intérieur. Comment fait-on quand on se sait fille? que la société patriarcale est profondément machiste? on est un garçon, alors on doit jouer au foot, se faire des meufs, rouler des mécaniques et surtout ne pas pleurer. Rien ne roule pour elle. Jusqu'à sa rencontre avec Jay...

La vie est une succession de rencontres qui font un destin. Il y en a de belles, de magnifiques, de sublimes qui vous donnent des ailes, vous redonnent confiance et vous émancipent. Puis il y a les autres: laides, repoussantes, avilissantes, traumatisantes. Il y a d'un côté les inoubliables comme les Moires, Eugenia, Raquel et Paula et puis il y a de l'autre, le Cochon et tous les autres, les anonymes, les lâches qui vous humilient, vous crachent à la figure: "sale pédé!", "grosse pute!"...

Ce roman contient une force incroyable. Celle de la survie d'un être dans un monde hostile. Celle d'une personne en construction qui taille à coups de machette dans la jungle urbaine pour se frayer un chemin. Cette quête d'identité, de liberté force le respect. La Mauvaise habitude est un roman plein d'humour et de tendresse qui vous prend aux tripes tant l'analyse psychologique des tréfonds de l'âme humaine y est d'une terrible acuité et d'une incroyable justesse.

Bravo Alana! et merci de nous faire grandir!

[Laure]