Nos coups de c½ur

#Roman

Un roman fort, plein de vibrations, à l'unisson du monde vivant...

Je pleure encore la beauté du monde

Charlotte MCCONAGHY

Je pleure encore la beauté du monde

Ed. Gaïa - février 2024
Prix : 22.90 ¤
9782330186470

Si vous aimez être embarqué dans une histoire que vous ne pouvez pas lâcher, si vous aimez la nature, si vous aimez vibrer d'émotions, ressentir le souffle du vent, la morsure du froid, vous enivrer de l'odeur de la sève des pins, observer les traces du passage des animaux, glisser votre main dans la crinière d'un cheval, imaginer caresser la fourrure duveteuse d'un louveteau, si comme moi vous rêvez un jour d'aller en Ecosse, dans les Highlands, alors lisez Je pleure encore la beauté du monde... vous ne serez pas déçu. C'est un voyage sensoriel, une ode à la nature, un cri de désespoir face à la bêtise et à la cruauté de l'homme. C'est un roman à rapprocher de Peindre, pêcher, laisser mourir de Peter Heller, une histoire de nature comme dans Vous passerez comme des vents fous de Clara Arnaud, une aventure sensorielle comme dans Starlight de Richard Wagamese. C'est une lecture comme je les aime.

On suit l'histoire d'Inti Flynn, jeune biologiste qui mène un programme de réintroduction des loups dans les Highlands écossais. Inti est une jeune femme qui a grandi entre l'Australie où réside sa mère et le grand Nord canadien où vivait son père. Elle est forte, déterminée, prête à tout pour sauver la nature menacée de destruction et ceux qu'elle aime. Inti est convaincue que l'expérience peut marcher, que la réintroduction de ce grand prédateur qu'est le loup, peut permettre de laisser la forêt regagner du terrain, à l'instar de cette expérience menée dans le parc de Yellowstone aux USA (c'est véridique!): les loups ont contraint les cervidés et tous les herbivores, qui ont tendance à rester aux mêmes endroits pour grignoter les jeunes pousses d'arbres, à bouger, libérant ainsi le sol et permettant la repousse des arbres.

Le lecteur accompagne Inti dans le récit de ce que fut son enfance partagée entre une mère flic obsédée par son boulot et un père, ancien bûcheron reconverti en ardent défenseur de la nature qui a instruit ses jumelles dans l'art de pister les animaux, de chasser, de reconnaître les différentes espèces de plantes, d'arbres, de ne prélever que le nécessaire. Le père disparu, Inti et sa soeur jumelle Aggie se sont juré pour la vie que rien ne les séparerait jamais. Elles ont trop besoin l'une de l'autre. On oscille ainsi entre les différentes époques, ce qui génère une forme de suspense, de tension croissante car le présent de l'histoire est plus que tendu: Aggie n'est que l'ombre d'elle-même et ne parle plus depuis des années, Inti par son caractère entier, fougueux, se met à dos la plupart des éleveurs du coin; sa vie n'est pas facilitée non plus par ce don extraordinaire qu'elle possède: elle souffre de synesthésie visuo-tactile et se met involontairement "dans la peau" de tous les êtres vivants qu'elle voit ou qu'elle touche. Ce don d'empathie totale est souvent un handicap et elle se retrouve dans des situations qui la fragilisent grandement. La tension monte d'un cran quand elle tombe sur un cadavre... elle qui a consacré toute sa vie aux loups sait bien évidemment que les coupables sont tout désignés, que si elle ne fait rien, ça va être un carnage et que ce beau programme de réintroduction va tourner à la catastrophe.

Une enquête va donc être ouverte. Le principal problème est que le corps a disparu... Inti va mener sa propre enquête mais ses provocations vont la mettre en difficulté. Et elle doit aussi s'occuper d'Aggie. Et gérer son histoire avec Duncan, le policier en charge de l'enquête... et c'est en fouillant le passé qu'Inti va s'approcher de la vérité.

La psychologie des personnages, la complexité des situations sont très fouillées. La narration est parfaitement maîtrisée. La traduction réussie.On oscille entre nature-writing, roman noir, roman policier, roman écologique, roman féministe.

Roman foisonnant, magnifique, où la vérité surgit quand on a gratté les différentes couches de ce que l'on pense être la réalité, Je pleure encore la beauté du monde fait partie de ces oeuvres en forme de cri d'alerte: arrêtons cette course effrénée au progrès, cette volonté de tout maîtriser, d'asservir la nature pour notre seul profit. Comme le loup, l'homme est une créature complexe, intelligente et pleine de surprises, en bien et en mal. Mais contrairement à lui, l'homme détruit tout ce qu'il touche. Le loup l'a bien cerné et ne se tient à distance... il n'a que trop raison.

Bravo Charlotte McConaghy!!!

[Laure]