Nos coups de c½ur

#Roman

Roman puissant, bouleversant et absolument nécessaire.

Houris

Kamel DAOUD

Houris

Ed. Gallimard - août 2024
Prix : 23.00 ¤
9782072999994

Oran, 2018. Un tourbillon vous emporte dès les premières pages du livre, on ressent une aspiration inéluctable qui vous plonge dans les sables mouvants des heures les plus noires de l'Algérie. Houris s'ouvre sur le long monologue d'une jeune femme algérienne, prénommée Aube, privée de cordes vocales depuis qu'elle a été partiellement égorgée, enfant, par des islamistes qui ont massacré toute sa famille pendant la guerre civile. Aube s'adresse à l'enfant qu'elle porte en elle et sur le sort duquel elle ne parvient pas à se décider: comment enfanter dans un monde aussi violent? pourquoi mettre au monde un enfant en plein chaos? Comment donner naissance à une fille (elle le sait, cet enfant est une fille) dans un monde où la femme n'a pas de place? mais donner la vie, c'est aussi cultiver l'espoir, la lumière qui peut venir briser les ténèbres...

Et Aube ne peut se taire. Elle qui n'a plus de voix extérieure porte en elle une voix intérieure très forte. Elle doit dire à son enfant à naître ce monde qui asservit les femmes, qui condamne au silence ceux qui ont été victimes de la violence des fous de Dieu. Aube est résolument tournée vers l'avenir mais ne peut se construire sans son passé qu'elle livre en détails: le hameau tranquille de son enfance, l'arrivée des terroristes, les rapts, les viols, les massacres, sa renaissance grâce à Khadidja qui l'a recueillie enfant, elle, Fajr Adjama, rebaptisée Aube. Puis sa vie de femme dans une société qui les invisibilise, qui fait de leur quotidien une succession de frustrations, de soumissions, d'obéissance absolue aux mâles. Ce sont les hommes qui régentent la vie des femmes.Tout est ici une histoire de pouvoir, d'aliénation de l'autre. Les fous de Dieu utilisent la religion comme outil de manipulation. Mais Aube, privée de paroles, résiste. Elle défie depuis le seuil de son salon de coiffure (baptisé ironiquement "Shéhérazade"...) l'imam de la mosquée voisine en arborant fièrement sa canule et son sourire de 17cm au milieu de la gorge. Elle ne baisse pas ses beaux yeux verts pailletés d'or, lâche ses cheveux, fume et porte des pantalons.

Une autre voix se fait entendre dans le récit et leur entremêlement dévoile ce que l'Etat algérien a cherché à taire, ces "années de plomb"  qu'il a cherché à rayer des mémoires par la grande Loi de réconciliation (entre les militaires et les barbus), la loi du pardon, de l'oubli... de l'annihilation de presque 200 000 victimes. Car tout "ça " n'aide pas à la paix, vous comprenez?

Un livre à la fois dur et magnifique, nécessaire, un hymne aux femmes, à la liberté. Un roman intelligent et très bien écrit.

Bravo Kamel Daoud!

[Laure]