#Roman
Un court roman mélomane à l’humour noir pour dénoncer l’absurdité de la colonisation.
Frédéric SOUNAC
Histoire navrante de la mission Mouc-Marc
Ce pourrait être une histoire vraie. Une histoire peu glorieuse. Navrante. Ce court roman de Frédéric Sounac, maître de conférences en littérature comparée à Toulouse, spécialiste des relations entre littérature et musique, narre, dans une langue très élégante, l’histoire d’un jeune diplomate mélomane, fin germaniste et violoncelliste amateur, Firmin Falaise, dans les années 1900, que le ministère des Colonies autorise à organiser une expédition dans le fin fond du Dahomey (actuel Bénin). Le jeune homme s’enorgueillit d’opposer « au prosaïsme accablant des Anglais, au mercantilisme infantile des Portugais et à la brutale cupidité des Belges », la conception humaniste de la France en participant à une vaste campagne d’alphabétisation des colonies françaises, à « l’exportation généreuse du savoir et à l’éveil des sensibilités ». Cette mission dont le but est de créer des « conservatoires de brousse », de civiliser les jeunes garçons en leur apprenant à jouer Bach, Haydn ou Beethoven, sera dirigée par Isidore Mouc-Marc, un officier-violoniste aux prestigieux états de service. C’est ainsi qu’une colonne d’hommes armés de fusils et de violons s’enfonce dans les ténèbres du Dahomey…
L’Histoire navrante de la mission Mouc-Marc est une petite pépite d’humour noir qui se lit d’une traite. On est immédiatement frappé par le style classique et très élégant de l’écriture et par le ton du récit : ce roman donne à lire l’absolue monstruosité du fait colonial avec une certaine fantaisie et une légèreté qui déconcerte et ne peut que saisir le lecteur. Ce serait-ce que cette petite phrase de l’incipit qui nous sert une description du protagoniste, Firmin Falaise : « La chance lui souriait, et de surcroît, il se trouvait joli garçon ; son pénis, en particulier, lui inspirait la plus grande vénération de sorte qu’il jalousait presque les femmes (dont à vrai dire il ne savait pas grand-chose) d’avoir un si bel objet à caresser. » Cela peut sembler un détail amusant mais il est signifiant pour l’histoire qui nous est contée : il est question de pénis, de virilité, de force, de violence et d’abus de pouvoir. Une fois encore l’illustration de la domination barbare de l’homme blanc convaincu de sa supériorité est donnée…
La qualité de ce texte réside en outre dans la finesse et la justesse avec laquelle les divers points de vue sur la légitimité de cette mission sont donnés. Les humains sont des êtres complexes. Cette mission Mouc-Marc compte dans ses rangs des individus bien différents, avec des motivations variées. Au fur et à mesure que la mission progresse, des différends surgissent…
Bref, ce petit texte est assurément divertissant. La musique adoucit-elle vraiment les mœurs ? Lisez L’Histoire navrante de la mission Mouc-Marc pour avoir une réponse… [Laure]