Débâcle

Et voilà! Encore un nouveau roman de ce génial raconteur d'histoires qu'est Manook! En août dernier, La Manufacture de livres avait déposé sur nos tables de libraires Le Pouilleux massacreur, et voici que Paulsen, à son tour, publie Débâcle. Et un nouveau polar se profile pour la rentrée d'août... Comment fait-il? je ne sais. En tous cas, ce qui est flagrant, c'est qu'une fois de plus, il nous embarque dès les premières pages. Ian Manook a ce pouvoir d'arrêter le temps, de vous isoler dans une bulle de bonheur de lecture assez incroyable.

Nous sommes cette fois-ci en Sibérie orientale, à Balitsky Point en 1991. L'Union soviétique s'est écroulée. Le Parti est dissous. Plus personne ne sait qui va payer les salaires, les pensions... tout ce qui dépendait de ce régime est mis sens dessus dessous. Ce comptoir isolé ravitaillé par hélico est le point de départ d'une traque folle: celle menée par Piotr, ex-agent du KGB, recruté pour une dernière mission: retrouver un ermite survivant du goulag, un certain Poliakov, qui vit au milieu de la taïga, dans cette région hostile où il fait 35° l'été et -50° l'hiver. Nous voilà donc fraîchement débarqués d'un coucou en circulation depuis 1962 (un miracle qu'il vole encore selon son pilote!) dans ce hameau qui appartient à un seul homme, le plus riche et le plus influent du secteur, Balitsky. Mais étant donné les circonstances (l'hélico n'apporte aucun ravitaillement car il n'y a plus rien nulle part), personne ne compte rester ici. Piotr va donc se retrouver avec un petit groupe comptant un chien jaune, Sacha, un enfant de 5 ans oublié par ses parents, Yuliana, une jeune fille forcée à la prostitution pour survivre, Liouba, "15 ans et trois ours", qui se dit trappeur, et le pilote de l'hélico Vassili. Tous les six vont devoir surmonter bien des dangers et affronter les éléments déchaînés. Liouba prétend connaître Poliakov, mais plus ils avancent, plus Piotr s'interroge. Tout cela a-t-il un sens? N'est-il pas dupé par cette jeune fille? Et Poliakov est-il toujours vivant?

Au-delà de l'aventure en elle-même qui est palpitante, de ce décor grandiose, de la majesté de la nature et de la faune qui l'habite, ce qui fait l'intérêt de l'ouvrage est contenu dans les dialogues ciselés où s'entrechoquent deux visions complètement différentes du monde: d'un côté, Piotr, désabusé, pris au piège dans cette mission, moque les traditions ridicules des chamanes, les croyances dépourvues de sens à ses yeux d'ex-agent du KGB qui a dû affronter bien des dangers dans les villes truffées de truands, de criminels sans vergogne. A ses yeux, il a survécu à des dangers bien plus pernicieux qu'un ours ou un loup croisé par hasard dans la forêt. De l'autre, Liouba rejette cette soi-disant modernité, cet aveuglement de l'homme blanc cupide qui détruit tout sur son passage, asservit la nature, réduit en esclavage les peuples qui l'habitent et la respectent. Elle ne se considère comme un être unique et exceptionnel mais a bien conscience, contrairement à Piotr, qu'elle n'est que de passage sur terre et qu'il faut rendre grâce à la nature pour ce qu'elle nous donne. Ces petits rituels de remerciements après chaque flambée qui a permis de faire cuire le lapin tué pour le repas sont systématiquement moqués par Piotr.

Et évidemment, ces confrontations vont faire évoluer les personnages, les impacter bien plus que ce qu'ils imaginent. C'est passionnant, très instructif car très documenté, intelligent, fin. Et on n'oublie pas l'humour omniprésent chez ces personnages qui sont, comme toujours, très incarnés. Comment ne pas tomber en admiration devant ces descriptions de paysages grandioses où on ira sans doute jamais (que jamais le tourisme de masse ne vienne salir ce sol si pur, cette nature préservée...).

Débâcle fait partie de la collection "La Grande Ourse" de la maison Paulsen dont la ligne directrice est "Au coeur du monde sauvage, une aventure humaine." C'est une collection à recommander chaudement aux amoureux de la nature! 

Franchement, 19.90€ pour un voyage en Sibérie? qui dit mieux?

[Laure]