Nos coups de c½ur

#Roman

Un livre fort, poétique et émouvant au pays des Algonquins.

Bras coupé

Bernard ASSINIWI

Bras coupé

Dépaysage - juin 2023
Prix : 22.00 ¤
9782902039425

 

Je suis chaque sortie de la maison Dépaysage avec grande attention, guettant la pépite. Je dois dire que je suis très rarement déçue… et Bras coupé, réédition d’un texte paru en 2008 à la Bibliothèque québécoise, est une pépite qui parle de vengeance, d’humiliation, de racisme, d’aliénation de la culture autochtone au Canada.

Dans un petit village de coupeurs de bois, quelque part entre la Gatineau et l’Outawais, là où se sont installés sur des terres qui ne leur appartenaient pas les draveurs irlandais, écossais, français qui prospèrent en coupant toujours plus de bois, un soir de beuverie, des Blancs s’en prennent à un  Algonquin et lui coupent la main droite à la hache. Cet Algonquin s’appelle Minji-Mendam, « celui qui se souvient longtemps » ; c’est un trappeur paisible qui fait vivre sa petite famille en vendant le produit de sa chasse pour acheter aux Blancs qui tiennent les commerces du village juste ce qu’il leur faut pour vivre. Après le drame, Minji-Mendam se réfugie dans la forêt et est recueilli par le vieux sage Mashkiki-winini, le « sorcier qui connaît les plantes médicinales » que les Anciens appellent aussi Niganadjimowinini, « celui qui connaît les pensées des gens, qui connaît les événements futurs ». Et l’Amik-Inini, ce « membre de la tribu du Castor » qui a perdu sa main droite prépare sa vengeance, en bon chasseur qu’il est. Il repère ses proies, leur tourne autour, les met sous pression, prépare ses pièges avec le plus grand soin et dans le plus profond silence. Mais dans sa tête, point de silence. La belle Ikwe, son épouse décédée, le hante et chante sans arrêt l’air des Retrouvailles, l’obligeant ainsi à prendre conscience de ce qu’il est en train de commettre, de ce destin qu’il est en train de briser.

Dans une langue envoûtante de simplicité, pleine de charme et de poésie, on suit cette âme perdue, cet homme «au corps meurtri et à l’esprit en feu », cet Anish-nah-be (être humain) qui a mal à l’intérieur, mal à l’amitié, à l’orgueil, qui a « mal à son pays qui ne lui appartient plus et où il doit se soumettre », mal à la forêt, à ses ancêtres… On retrouve dans cette histoire cette force de la sagesse autochtone devant laquelle on ne peut que s’incliner : bienveillance, amour des siens, pardon, respect de la nature si généreuse… On ne peut qu’admirer cette conscience que nous ne sommes que de passage sur terre, que nous ne devons prendre à la Nature que ce dont nous avons besoin et nous montrer reconnaissants. C’est une histoire tragique et douloureuse que celle de la dépossession coloniale. De reconnaissance, jamais.

Le plaisir de cette lecture réside aussi dans l’exotisme de sa langue, le français du Québec: si on abhorre les « Boss », les Blancs anglophones qui tirent profit d’une terre qui ne leur appartient pas, si les Canayens (Canadiens français) nous font sourire avec leurs « flasques de caribou » (il faut dire que l’alcool coule à flot et attise les rancoeurs et les haines) et leurs nombreux « sacres » (dont le fameux « Tabarnak ! »), on s’interroge tout de suite sur cette cohabitation et la place laissée aux Autochtones et aux Sang-mêlés.

Lire Bras coupé, c’est « prendre une chance », « astheure », d’être séduit encore une fois par la rareté et la qualité d’un ouvrage dépaysant des éditions Dépaysage ! Maison qu'il faut soutenir (campagne de soutien sur KissKissBankBank) et que vous pourrez venir rencontrer début octobre à La Petite Librairie!

[Laure]