Blanches

Une image symbolique d'abord: l'enseigne lumineuse d'un CHU en banlieue parisienne qui défaille, grésille, clignote...

Blanches met en avant les drames de l'existence, les petites vies, celles ravagées par l'angoisse, l'alcool, la perte. L'histoire débute en 2012 et s'achève en 2024. On y suit le destin de plusieurs personnages: Aimée, follement amoureuse d'Arnaud qui a sombré dans la drogue et disparaît régulièrement puis définitivement. Arnaud est le fils de Jean-Claude, un grand chirurgien qui exerce au CHU de Villedeuil. C'est justement là qu'Aimée a choisi de faire son internat, au service des urgences. Jean-Claude vit seul, consacrant le peu d'énergie qui lui reste à son travail. C'est un homme triste, ravagé par le chagrin et l'alcool. Manuel, le patron du Manhattane, seul café à proximité de l'hôpital, à 15 min de la gare SNCF. Manuel est abstème et voue une admiration sans borne à Jean-Claude qui l'a opéré. Gilles et Evelyne Larrieux, les parents d'Aimée, installés confortablement dans leur maison bourgeoise au coeur de Paris, issus d'une lignée de chirurgiens qui ne se posent pas trop de questions quant à l'avenir de leurs filles mais que le choix d'Aimée de faire son stage aux urgences déconcerte quelque peu...

A ces personnages, à ces tranches de vie saisies dans le vif, s'ajoutent d'autres vies, plus petites, comme celles de Laetita et Kamel, jeune couple qui vit à Villedeuil dans 20m². Elle, infirmière qui gère l'accueil aux urgences et lui, le seul de sa famille à avoir fait des études, devenu ingénieur mais refoulé à chaque entretien d'embauche... la rancoeur s'installe, alimentée par un beau-frère charismatique qui lui répète que "tout est politique".

Ces vies tournent autour des urgences. C'est le décor central. On plonge dans son intérieur, on y suit aussi des personnages qui s'y rendent car ils sont à bout, comme Flora... et un drame va tout faire basculer. Un terrible enchaînement de circonstances malheureuses: un accident, une absence, une équipe en sous-effectif, une interne sous pression... Et à travers cet accident, c'est tout un processus à l’œuvre qui est révélé: la lente agonie de l'hôpital, l'épuisement du service public de santé, l'effondrement de son personnel poussé à bout par le manque de moyens, l'absence d'implication des politiques, le business avant tout, la rentabilité qui supplante l'humanité...

C'est évidemment un roman noir mais très réaliste, très bien écrit, d'autant que Claire Vesin est de la profession! Elle sait de quoi elle parle et ça fait du bien de lire des choses humaines. Elle fait ici preuve d'une grande finesse dans l'analyse des caractères, des situations. L'alternance des points de vue permet de mesurer la complexité des enjeux, l'environnement social, les choix politiques en matière d'urbanisme, l'accès au savoir, les inégalités sociales, l'entre-soi de certaines professions... L'état des lieux est alarmant mais grâce à lui, l'autrice met en lumière l'investissement, le dévouement, le courage extraordinaire de ces soignants, à tous les niveaux de l'échelle. Bravo et merci!

[Laure]