Aysuun

Magistral! Si vous avez envie d'une histoire qui vous emporte, envie de respirer le grand air, de vous changer les idées, plongez dans Aysuun, le dernier roman du très grand Ian Manook! Le temps de la lecture des 300 pages du roman j'ai vécu coupée du monde, dans un décor de steppes, au pied des monts Altaï et de leurs reliefs tourmentés couverts par les forêts de mélèzes et de bouleaux, à contempler les premiers flocons qui feutrent la taïga d'un épais matelas poudreux, à écouter le vent rapporter ce que la steppe entend de ses oreilles, à goûter l'aarschy, le khuushuur, l'oukha à la tomate ou encore le khan, à sentir la brûlure de l'arkhii. J'ai vu passer sous mes yeux les hardes de chevaux sauvages, découvert la majesté de l'Akhal-Téké, espionné à l'abri des mélèzes un ourson en train de s'amuser, caressé les broderies du deel traditionnel touvan et frissonné en attendant le roulement des tambours chamaniques en peau de loup...

Aysuun est un ouvrage très documenté sur les us et coutumes des peuples nomades mongols et touvans, sur l'histoire de l'union soviétique à l'époque de ses campagnes de "pacification" des régions plus reculées de cet empire gigantesque. Ce sont quelques pages parmi les plus noires de l'Histoire qui sont évoquées ici et qui servent de cadre à ce récit de vengeance. Parce que c'est de ça dont il est question dans ce livre: une vengeance patiemment orchestrée, ingénieusement machinée et implacablement exécutée. Le lecteur jubile de voir la "victime" tomber dans les pièges tendus par son "bourreau", de sentir sa rage croître à chaque chausse-trappe dans lequel il s'écroule, mais on tremble aussi en percevant la folie prendre peu à peu toute la place. L' "homo sovieticus" n'a jamais tort ni compassion. C'est ainsi. Et le personnage de Kariakine qui incarne la noirceur la plus totale de l'âme humaine justifie chacun de ses actes au nom du Parti et condamne la "propagande contre-révolutionnaire", les "calomnies antisoviétiques" de ces "culs-terreux de nomades", ces "voleurs de chevaux" que représentent à ses yeux tous ceux qui osent se mettre en travers de son chemin: Aysuun la première, Tumur son amant, Olygbay sa soeur de coeur, Gombo le bandit-chamane, ou Chuluum le chamane qui traque l'ours...

C'est Aysuun qui raconte du haut de ses 106 ans à celui qu'elle appelle "petit-frère" son histoire qui débute en 1930. La description des décors, le portrait des personnages par petites touches, en action, sont fascinants. Il y a un souffle romanesque incroyable dans cet ouvrage qui s'apparente à un thriller tellement les rebondissements y sont nombreux, l'atmosphère tendue, le rythme soutenu. La poésie surgit à chaque parole du vieux chamane ou de la mère d'Aysuun, Tsuyann, dans les moments où la magie n'est pas loin, quelque part tapie dans les yeux jaunes de la louve surgie de nulle part qui vient guider Bazaan, dans le rapace qui vient griffer "l'homme maudit protégé par les mauvais esprits du Ciel Noir"...

C'est époustouflant, ébouriffant, fabuleux, incroyable... bref, c'est un vrai coup de coeur!!!

[Laure]