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Apér'Autrice #17 avec Adeline Fleury

Apér'Autrice #17 avec Adeline Fleury

à la petite librairie

23 janvier 2024 à 19h

Adeline Fleury est journaliste, romancière et essayiste.
Elle a été reporter pendant quinze ans, essentiellement pour les pages Société du "Journal du dimanche". Depuis 2014, Adeline Fleury a fait le choix de se consacrer entièrement à l’écriture.
Entre romans, essais et piges, l’écrivaine trouve également le temps de se glisser dans la peau de personnalités pour raconter leur histoire.
Auteure d’un essai remarqué sur le désir, "Petit éloge de la jouissance féminine" (François Bourin, 2015), elle se fait reporter de l’intime pour explorer la féminité.
Elle a été en lice pour le prix du Premier roman français avec "Rien que des mots" (2016). En 2018, Adeline Fleury est journaliste littéraire au Parisien Week-End.

Bibliographie :
– Les frénétiques (Julliard 2022)
– Petit éloge de la jouissance féminine (Les Pérégrines, 2022)
– Ida n’existe pas (Les Pérégrines, 2020)



couv le ciel en sa fureur

ISBN : 9791032929049
Ed. L'Observatoire - 20€

Une sombre histoire au pays où les hommes et les femmes penchent comme les arbres...

Brrr... quand il pleut des grenouilles, que les mouches vrombissent en essaims et que les araignées grouillent, il y a de quoi ressentir un certain malaise. L'angoisse vous saisit dès les premières pages de cette étrange histoire au coeur du Cotentin, et les vieilles croyances normandes ne sont pas là pour vous rassurer. Le ciel en sa fureur est un ciel noir, plein de menaces, un de ceux qui vous font rentrer la tête dans les épaules et qui vous donnent envie de vous cloîtrer chez vous, près de la cheminée...

Ce nouveau roman d'Adeline Fleury (dont j'avais adoré Ida n'existe pas, lui aussi d'une incroyable noirceur et tiré d'un fait divers) a donc pour cadre la campagne profonde de Normandie, ses maisons rurales qui suintent l'humidité, ses landes pleines de brumes, balayées par la pluie et le vent, et ses lieux dont le nom suffit à vous glacer le sang:" la lande des morts"... l'autrice y fait le portrait sans concession de ses habitants:

des paysans obtus, bas du front, alcooliques accrochés au comptoir du Trou Normand (bar-tabac-loto du village), craintifs et pétris d'idées reçues, de croyances ancestrales qui expliquent tout et n'éclairent rien...

des hommes d'église effrayants, manipulateurs et pervers qui abusent de la crédulité de ceux qui n'ont pas reçu d'instruction...

des femmes résignées qui triment dans ce rude milieu, parce qu'elles sont femmes, au foyer et qu'elles ont enduré les coups, les cris, les trahisons des maris...

des femmes fortes qui ont fait le choix d'exercer un métier d'hommes: maréchale-ferrante vétérinaire, bergère... qui n'ont droit qu'au mépris des villageois,et doivent redoubler d'effort pour se faire accepter...

des folles aussi qui collectionnent les poupées de porcelaine et leur parlent comme à des enfants véritables...

des gendarmes qui s'étonnent beaucoup et ne sont pas prêts à chambouler leur quotidien plan-plan, ni celui des villageois pour faire surgir la vérité...

des néo-ruraux, "bobo" qui se tiennent à l'écart et ne participent jamais à la vie du village. Ce sont "ceux du lotissement", entité anonyme bien trop occupée pour surveiller les jeux de leurs enfants pourtant parfois très cruels...

mais aussi des créatures fragiles, des boucs-émissaires, des paysans inquiets, des parents soucieux, des amoureuses... c'est tout un petit monde qui est mis en scène dans une histoire où les frontières entre la réalité et l'imaginaire sont poreuses. Il y a du fantastique dans cette histoire, comme chez Maupassant (tiens! un Normand!) des enfants-fées, des nuits opaques en plein jour, des pluies de sang, des photos qui bougent toutes seules...

Le Ciel en sa fureur est aussi un roman policier puisqu'il y a des morts, une enquête, un roman noir qui illustre avec beaucoup de finesse la noirceur de l'âme humaine dans cette terre normande "parcourue d'ondes étranges, d'énergies contradictoires (...) qui font vaciller [la] rationalité de ceux qui arrivent là". Comme le dit si bien un des personnages du roman: "les superstitions entourant les fantômes sont bien plus commodes à se représenter que la réalité de la finitude et sa pourriture". Et face à cette noirceur, des êtres lumineux surgissent, heureusement!

Plus je réfléchis à cette histoire et plus j'aime ce livre. Il vous happe dès les premières pages par l'atmosphère dépeinte, cette angoisse qui sourd... J'aime beaucoup la plume d'Adeline Fleury, ce ton un peu impersonnel, à la fois froid et amusé, celui d'un témoin privilégié qui se divertit devant cette comédie humaine, l'agitation vaine de tous ces animaux...

C'est remarquable, intelligent, plein de finesse. Et l'autrice, remarquable, intelligente et pleine de finesse a accepté notre invitation! Elle sera à La Petite Librairie le mardi 23 janvier à 19h!!! Alors, venez la rencontrer et découvrir le livre!

[Laure]