#Roman
Roman d'atmosphère et d'apprentissage sur une jeunesse qui se construit dans le paysage lunaire des mines à ciel ouvert d'amiante au Québec entre 1986 et 1991.
Sebastien DULUDE
Amiante
Le phrasé délicat et sensoriel de l'auteur fait d'Amiante un roman intense et incandescent sur les amitiés d'enfance et les émotions contraires qui les traversent.
Thetford Mines, une des trois grandes villes de l'industrie de l'amiante dans les Appalaches, Québec.
Un site quasi astral figuré par une photographie en noir et blanc, au milieu du roman.
Des montagnes factices formées par les résidus miniers qui balafrent le paysage des forêts. Beau et terrifiant à la fois. C'est le décor dans lequel a grandi Sébastien Dulude.
Construit en deux parties, deux étapes importantes dans la vie du narrateur, Steve Dubois.
Deux périodes pour montrer l’insouciance de l'enfance et l'effervescence d'une amitié naissante et enfin, la douleur qui le meurtrit lorsque qu'elle disparaît.
Tout comme l'amiante, l'amitié ne peut s’enflammer mais Steve brûle et se consume de l’intérieur .
Phonétiquement, le titre sonne : Ami – Hante
Steve est bel et bien hanté par cette amitié et par ses souvenirs.
Steve Dubois et Charlélie Poulain tombent en amitié dès la première rencontre, ils ont 9 et 10 ans, nous sommes en 1986 :
« J'avais senti dès la première fraction de seconde du croisement de nos regards, dans sa manière d'opiner du museau vers moi en m'apercevant, qu'il était l'ami que je cherchais désespérément.
Salut.
Salut.
A peine plus tard, sur le patio, calé dans une grande chaise Adirondack brune, j'avais une boite de jus de pomme doux dans la main et Charlélie Poulain à ma droite, dans une chaise identique. Je partageais ce moment simple avec lui intensément, notre proximité était d'une plénitude à la fois nonchalante et immense, à la manière dont se rencontre les cachalots, les cumulus, les nébuleuses. »
Leurs terrains de jeux alternent entre leur cabane dans les arbres au creux des forêts où ils lisent des albums de Tintin, mangent des gommes à la cerise et les collines poudrées d'amiante « l'or blanc » pour y faire dévaler des pneus.
Tout est dissonant dans cette ville où le travail (physique et aliénant) consiste à extraire un matériau qui devient obsolète, aujourd'hui honnie puisque cancérigène, et où les journées de cette enfance insouciante et alanguie sont ponctuées par les angoissantes explosions quotidiennes de dynamitage dans la mine.
Le texte mêle la joie enfantine à la douleur, la solitude, la colère et l'ennui.
Dès les premières pages, on sent qu'un drame va arriver … Sera t-il individuel, collectif ou social ?
Sébastien Dulude, qui vient de la poésie, maîtrise avec brio le sous-texte, les hiatus et les interstices ; il y infuse une sorte d'inquiétude tout au long du roman.
La qualité de sa prose ; outre le vocabulaire de nos cousins québécois (dont on se délecte) ; fait surgir et traduit avec justesse, sincérité et finesse, les émotions naissantes : « la honte fâchée », « la gêne déçue » « la crainte triste » …
Des créations langagières qui ne sont pas là que pour le style, mais qui nous font ressentir toute la complexité des émotions des personnages.
Une très belle découverte et un auteur à suivre !
[Annette]