Nos coups de c½ur

#Roman

Un roman foisonnant et captivant sur les "forçats de la mer".

A Islande!

Ian MANOOK

A Islande!

Ed. Paulsen - octobre 2021
Prix : 21.00 ¤
9782375021194

"Homme libre, toujours tu chériras la mer..." écrivait l'autre.

Moi j'lui réponds: Bof! pas trop!

Une fois n'est pas coutume: je vous propose un coup de coeur sur un ouvrage ancien... Au moment de sa sortie en octobre 2021, j'avais négligé la lecture de A Islande! du grand Ian Manook. Quelle erreur! Et parce que Ian Manook nous fait l'insigne honneur de venir à La Petite Librairie le mercredi 15 mai prochain, j'ai réparé cette erreur. Ce livre est une pépite!!! Avis aux amateurs d'histoires vraies, de romans historiques, d'histoires qui vous emportent dans le sillage de personnages oubliés de l'histoire.

Grâce à sa connaissance du pays et à l'infinie richesse de sa plume, Ian Manook embarque le lecteur dans une histoire incroyable, celle des pêcheurs "à Islande" du début du XXème siècle. On y suit le destin de gens ordinaires, de petites gens qui se sont battus pour la dignité humaine, pour la liberté, pour le respect de la nature: des pêcheurs bretons, une religieuse danoise, une institutrice islandaise, une infirmière française.

L'auteur est un très grand raconteur d'histoires qui nous fait voyager dans ce pays dément, sur cette terre folle qu'il connaît si bien: après avoir essuyé une terrifiante tempête dans les eaux froides du "Pays des glaces", vous découvrirez ses fjords majestueux, ses glaciers imposants, ses landes où broutent des moutons éparpillés et de robustes chevaux à la crinière folle sous un ciel immense et capricieux; vous vous baignerez dans ses trous d'eau chaude et soufrée, découvrirez des grottes faites de blocs empilés qui tiennent en équilibre on ne sait comment; vous ressentirez la colère de cette terre qui gronde et qui tremble quand elle veut,  capable de faire surgir le magma en fusion ou l'eau bouillante. Vous vous perdrez dans le brouillard blanc et épais, admirerez le doigt de Dieu qui perce subitement à travers les nuages et vous fait découvrir un désert de cailloux noirs...

L'histoire commence en 1904. La France républicaine et laïque a décidé de reprendre aux associations religieuses le soin des cinq mille forçats de la mer qu'elle envoie chaque année "à Islande" pour la grande pêche à la morue. L'Hôpital français d'Islande voit le jour et remplace les dispensaires gérés par l'association chrétienne des Oeuvres de mer qui venait en aide à ces marins, partis de Bretagne, poussés par la misère à s'embarquer à bord de goélettes pour des parties de pêche vendues comme "miraculeuses" dans ces eaux froides et hostiles. Mais de miracle, il n'y en a pas. Ou alors, c'est celui de ceux qui échappent aux maladies contractées à bord à cause de l'absence totale d'hygiène, du manque de contrôle sanitaire au moment de l'embarquement, des nombreuses blessures liées à l'activité et aggravées par les conditions météorologiques épouvantables. Le miracle est aussi celui d'échapper aux naufrages souvent liés aux économies faites par les armateurs qui rognent, sans scrupule, sur la sécurité des bateaux sans lésiner sur l'alcool qui abrutit les hommes et leur permet de mieux courber l'échine et de se résigner. C'est absolument terrifiant.

La palette des émotions est une fois encore, comme dans L'Oiseau bleu d'Erzeroum ou Aysuun, extrêmement riche. L'humour des personnages vient contrebalancer la tension dramatique. Les dialogues sont ciselés et l'échange d'arguments des uns et des autres permet de mieux comprendre les situations, d'appréhender les enjeux de l'époque. La charité chrétienne de soeur Elisabeth se heurte à l'orgueil de Marie Brouet, infirmière en chef fraîchement débarquée en Islande qui compte bien se montrer à la hauteur du salaire versé (plusieurs fois celui d'un armateur). L'extrême dureté des conditions de navigation, l'horreur absolue de la vie à bord de ses goélettes, le cynisme des dirigeants, viennent émousser la foi en l'humanité. Le pillage des ressources naturelles (le bois, le poisson...) attise la conscience écologique précoce de ceux qui ont choisi de rester en Islande: "Si un paradis existe, prenons bien soin de ne jamais le découvrir pour ne pas le pourrir de nos prétentions perverses", répond avec grande sagesse le vieil Arthur à soeur Elisabeth. Et l'Amour, bien sûr, vient aussi ébranler la foi...

Mais pas de leçon de morale, pas d'étalage de bonne conscience. Ian Manook fait montre de beaucoup de finesse et d'intelligence. En attestent les références littéraires à Pierre Loti, les citations d'Arthur Rimbaud, de Victor Hugo ou de Shakespeare, l'évocation des Sagas légendaires de la littérature islandaise. Elles sortent de la bouche de personnages qui sont amoureux de la littérature, qui sont habités par la transmission du savoir comme Eilin et Kerano et cela se fait naturellement, simplement.

Le rythme est parfaitement maîtrisé, l'attention du lecteur est captée dès le début et les nombreux termes techniques propres à la pêche, à la navigation ou à la géologie n'ont rien de rebutant. Au contraire, ils contribuent à renforcer la sensation d'immersion dans l'histoire, de voyage à travers le temps et l'espace.

C'est un énorme coup de coeur que cette lecture de A Islande! Certes, l'ouvrage n'est jamais sorti en poche et n'est disponible qu'en grand format, chez Paulsen, mais il vaut vraiment le détour. C'est du haut niveau, croyez-moi! Et Ian Manook a plus d'une corde à son arc puisqu'il vient de sortir un polar vitaminé et très efficace, Krummavisur, la dernière enquête de Kornelius Jakobsson qui se passe ... en Islande!

Venez rencontrer l'auteur le mercredi 15 mai à partir de 19h! Il aura plein de choses à nous raconter, c'est certain!!!

[Laure]